Exposé fait par Jacques DALODE
le 15/03/2005 au groupe Vie Nouvelle des Boucles de la Marne
[équivalent
10 pages]
Mon exposé de ce soir porte
sur les paradis fiscaux, sujet intéressant mais difficile,
car il s'agit d'un sujet de l'ombre, d'un sujet presque tabou
sur lequel les informations ne courent pas les rues et les livres
sont peu nombreux. Les informations, j'ai dû les grappiller
à gauche à droite.
Des discours, de droite comme de gauche, signalent les dégâts
des paradis fiscaux, et pourtant leur utilisation ne fait que
croître, malgré les scandales qui défraient
la chronique : Enron, Parmalat, Metaleurop
. Rien n'y fait.
Les affaires sont les affaires . Business as usual. Toutes les
banques, toutes les sociétés multinationales ont
des filiales dans les paradis fiscaux : de multiples filiales.
Lorsque j'ai été mis en contact pour la première
fois, en 1983, avec une société sise dans un paradis
fiscal, j'étais chargé de la commercialisation du
pétrole brut béninois. La société
Total qui négociait l'achat de la première cargaison
de brut béninois, comme société contractante,
sortit le nom de sa filiale de trading sise aux Bermudes. Ceux
avec qui nous discutions venaient du siège, de Paris. Mais
ils signèrent le contrat au nom de la filiale des Bermudes.
Et c'est cette filiale qui paya la cargaison. J'ai eu l'occasion
de voir, lors des ventes ultérieures de brut, que le fait
se renouvelait : avec la Gulf, Amerada Hess, Addax et d'autres.
Les sociétés de trading sont toutes sises dans des
paradis fiscaux.! C'est que ceux-ci servent à beaucoup
de choses. C'est ce que nous allons voir au cours de cet exposé
où nous constaterons que, bien souvent, quand on parle
de paradis fiscaux, l'unité de compte est le milliard de
dollars, tant les chiffres sont faramineux.
Dans mon exposé, je me propose de commencer par définir
les paradis fiscaux ainsi que quelques notions liées aux
sociétés qui s'y établissent. Puis je présenterai
les principaux paradis fiscaux. J'analyserai ensuite les griefs
formulés contre les paradis fiscaux et, après, je
présenterai quelques cas d'école illustrant le phénomène.
Je terminerai enfin par les actions menées ces dernières
années contre les paradis fiscaux.
Et d'abord qu'est-ce qu'un paradis
fiscal ?
I- DEFINITION
Les Français parlent de paradis
fiscaux, les Anglais et les Américains parlent de tax havens
(havres fiscaux). On peut dire pour être précis qu'il
s'agit de paradis fiscaux, bancaires et judiciaires. Dans ces
pays et territoires, les trois caractéristiques fiscales,
bancaires et judiciaires sont toujours mêlées à
des degrés divers.
1) Paradis fiscal
Ce sont des pays et territoires offrant
des avantages fiscaux considérables par la non imposition
ou la faible imposition des revenus et des bénéfices.
C'est la principauté de Monaco qui inventa la taxation
zéro en 1868 en supprimant toute imposition personnelle
afin d'augmenter l'attractivité de son casino. Par ailleurs,
les premiers territoires à fiscalité privilégiée
furent les îles anglo-normandes (Jersey et Guernesey) ainsi
que l'île de Man qui obtinrent leurs avantages contre la
soumission à la Couronne d'Angleterre et le renoncement
au soutien de la contrebande et de la piraterie.
2) Paradis bancaire
Ce sont des pays et territoires où
s'appliquent le secret bancaire et le secret des transactions
financières. Ni vu, ni connu. L'anonymat est garanti.
C'est la Suisse qui introduisit, la première, des règles
de secret bancaire strictes en 1934, attirant les capitaux fugitifs.
D'autres suivirent : le Liechtenstein, le Luxembourg, les îles
Caïman en 1966, les Bahamas en 1980, les îles Vierges
britanniques en 1990, Belize en 1995.
On mit aussi au point la technique des prête-noms qui permettent
de brouiller les pistes et de cacher les noms des fondateurs,
des actionnaires et des administrateurs des sociétés
créées.
3) Paradis judiciaire
Ce sont des pays et territoires où
règne l'impunité judiciaire, en cas de poursuites.
Ce sont en général des pays peu coopératifs
avec la justice des autres pays, même dans le cadre des
activités de blanchiment de l'argent sale. Les difficultés
rencontrées par les juges italiens et français durant
les années 1990 dans leurs poursuites contre des entreprises
et des dirigeants politiques ont mis en évidence ce fait.
Les paradis fiscaux se caractérisent
aussi par la facilité avec laquelle on peut y créer
des sociétés. Les formalités sont réduites
au minimum ainsi que les frais. Et d'ailleurs , un bataillon de
juristes, de banquiers, d'experts-comptables et d'experts fiscalistes
se chargent de vous aider.
Nous allons maintenant voir quelques
notions liées aux sociétés créées
dans les paradis fiscaux : " société offshore
", " société écran ", "
banque coquille ", pavillon de complaisance.
La " société offshore
" est le modèle type des sociétés créées
dans les paradis fiscaux. Une " société offshore
" est une société créée dans
un paradis fiscal mais ne faisant des opérations commerciales
, financières ou autres, qu'en dehors de ce pays, et, pour
cette raison, elle est sous fiscalisée et sous réglementée.
Elle est créée avec des formalités réduites,
pour un coût très faible, bénéficie
d'une imposition quasi nulle et d'une opacité totale.
Un paradis fiscal est dit une " place offshore " quand
on peut y créer des " sociétés offshore
". La plupart des paradis fiscaux sont des " places
offshore ".
C'est à partir des années 1960 que les " activités
offshore " ont connu un important développement dans
l'ensemble des Caraïbes et à partir des années
1980 dans le Pacifique Sud et l'océan Indien.
Statistiquement chaque année se créent pas moins
de 140 000 " sociétés offshore " dans
les paradis fiscaux.
Une " société
écran " est une société qui cache son
véritable détenteur par l'utilisation de prête-noms.
Elle constitue un écran en raison du recours à des
administrateurs locaux, simples prête-noms, et parfois à
l'usage d'actions au porteurs. On utilise ainsi une kyrielle de
sociétés relais pour multiplier les coupe-circuits
et accroître la difficulté de connaître le
véritable donneur d'un ordre de virement, le véritable
propriétaire d'une société ou le véritable
bénéficiaire d'un fonds ou d'un trust.
Selon les Nations Unies il y aurait dans les paradis fiscaux quelque
3 millions de sociétés écrans.
Une " banque coquille "
est une banque sans présence physique dans aucun pays autrement
que par une boîte postale ou une adresse électronique.
Là où elle est enregistrée, elle n'a pas
d'employés, ne tient aucun registre de son activité
et ne subit aucune inspection.
En ce qui concerne les bateaux on
parle de pavillons de complaisance. Les pavillons de complaisance
furent instaurés au Panama au début des années
1920. Ils ne représentaient que 5 % de la flotte mondiale
à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, 14 % au début
des années 1960, mais 60 % aujourd'hui.
Quel est l'avantage du pavillon de complaisance pour le propriétaire
d'un bateau ? Des droits d'enregistrement peu élevés,
pas ou peu de taxes et d'impôts, très peu ou pas
de contrôles, la liberté d'employer des marins peu
payés, socialement peu ou pas protégés. Selon
la Fédération Internationale des ouvriers du Transport
(ITF), sur les 40 000 navires qui sillonnent les mers du globe
aujourd'hui, seuls 6 000 garantissent à leurs marins des
conditions de travail et de vie à bord décentes.
Les principaux pays à pavillon de complaisance sont le
Panama, le Liberia, les Bahamas, Malte, Chypre. Ce sont tous des
paradis fiscaux.
Les paradis fiscaux facilitent la
création de " sociétés offshore "
et de " banques coquilles " et permettent de pratiquer
l'évasion fiscale, la corruption et le blanchiment de recettes
liées à des activités illégales.
Leur utilisation s'est généralisée avec les
déréglementations et les dérégulations
liées à la mondialisation. Aujourd'hui, l'utilisation
des paradis fiscaux n'est pas du tout un phénomène
marginal, un phénomène minoritaire. C'est un phénomène
massif. Les banques françaises ont toutes des filiales
dans les paradis fiscaux. De même que les sociétés
du CAC 40.
Je vais donner quelques chiffres
sur les paradis fiscaux.
L'unité de compte, comme je l'ai dit précédemment,
est le milliard de dollars.
En 1978 les dépôts des
non résidents dans les banques des paradis fiscaux étaient
de 160 milliards de dollars. Ce n'était là qu'un
début. A la fin de 1997, les actifs financiers dans les
paradis fiscaux bondirent à 4 800 milliards de dollars
et représentaient 54,2% des actifs internationaux. Donc,
plus de la moitié des fonds déposés dans
le monde le sont maintenant dans des paradis fiscaux, malgré
l'importance de places bancaires comme Londres, New York ou Tokyo.
D'ores et déjà la moitié des transactions
financières internationales passe aujourd'hui par les paradis
fiscaux.
Par ailleurs des fonds de placement offshore ont été
créés, et ont eux aussi fortement progressé
depuis 1986. On en comptait 450 en 1986, 900 en 1988 et 2500 en
1996. Ils rassemblent aujourd'hui plus de 1000 milliards de dollars.
A titre de comparaison le PIB de la France est de 1 500 milliards
de dollars et le PIB mondial tourne autour de 30 000 milliards
de dollars US.
II- PRINCIPAUX PARADIS FISCAUX
95 % des paradis fiscaux sont d'anciens
comptoirs ou colonies britanniques, français, espagnols,
néerlandais, américains, restés dépendants
des puissances tutélaires, et dont la souveraineté
fictive couvre une criminalité financière non seulement
tolérée, mais encouragée parce qu'utile et
nécessaire au fonctionnement des marchés.
Il existe plusieurs listes de paradis fiscaux : celle de l'ONU
(48 pays), celle de l'OCDE(35 pays) , celle du FMI (62 pays).
Nous n'allons pas nous lancer ici dans la querelle des listes.
Il nous suffira de présenter les principaux paradis fiscaux.
La Suisse
Certains connaissent le mot de Chateaubriand
:
" Neutres dans les grandes révolutions des Etats qui
les environnaient, les Suisses s'enrichirent des malheurs d'autrui
et fondèrent une banque sur les calamités humaines
".
La Suisse est la championne de l'activité bancaire. Les
376 banques recensées en Suisse produisent plus de 12 %
de la richesse du pays, trois fois plus que le secteur de la Chimie.
C'est la Suisse qui a inventé
les comptes bancaires numérotés. C'est aussi elle
qui a, la première,² introduit en 1934 des règles
strictes de secret bancaire. L'article 47 de la loi fédérale
suisse sur la banque considère la rupture du secret bancaire
comme un crime passible de prison. Grâce à quoi elle
a attiré les fortunes du monde entier. Au moins 50 % des
avoirs déposés en Suisse par des étrangers
- soit quelques 800 milliards de dollars - n'ont pas été
déclarés dans leur pays. La Suisse occupe le premier
rang mondial dans la gestion des fortunes privées. On estime
que 60 % des fortunes déposées par des épargnants
européens hors de leur contrée d'origine se trouvent
en Suisse.
La Suisse est aussi une " place offshore ". On estime
à 27 % la part de la Suisse dans l'ensemble des marchés
financiers " offshore " du monde.
Les dictateurs du monde entier y déposent les fonds de
leurs détournements et des pots de vin reçus.
Depuis 1934 les banques suisses n'ont
cessé de profiter de la propension des citoyens de l'Hexagone
à l'évasion fiscale. En mai 1968, puis en mai 1981,
après l'élection de Mitterrand, les banquiers suisses
ont croulé sous les fonds venus de France. Ce fut pareil,
à l'arrivée de l'euro ! Comme l'a expliqué
un banquier suisse :
" Nos clients français sont des industriels, des commerçants,
des architectes, en somme des gens qui reçoivent régulièrement
de l'argent au noir dans le cadre de leur travail. Leurs entreprises
sont parfois de taille modeste : ça peut être un
garage, une boucherie, une épicerie. Ces gens peuvent avoir
4 ou 5 millions de francs suisses de côté. Ce sont
de très bons clients, essentiellement parce qu'ils ne demandent
jamais de comptes. "
Le Luxembourg
Le Luxembourg est un centre financier
important qui pratique le secret bancaire et les comptes anonymes.
Ce pays de 440 000 habitants tire 40% de ses ressources de l'activité
financière.
Le Luxembourg est un paradis fiscal très couru pour un
type de sociétés : les sociétés holding.
Le système des holdings luxembourgeoises fut créé
en 1929 et modernisé en 1990 sous le nom de SOPARFI. Ce
sont des entités juridiques opaques qui permettent de détenir
des participations financières dans le capital d'autres
sociétés. Le Luxembourg compte 15 000 de ces sociétés
holdings qui représentent un capital de 27 milliards de
dollars et ne paient qu'un impôt minime (1 % du capital
souscrit).
Les îles Caïman
Les îles Caïman sont ,
après les Bermudes, la plus ancienne colonie britannique.
Georgetown, la capitale des îles Caïman, est la cinquième
place bancaire mondiale (en montant de dépôts de
non-résidents) (850 milliards de dollars), après
Hong Kong, Londres, New York et Tokyo ! Avec un nombre de banques
et de " sociétés offshore " (respectivement
600 et 50 000) supérieur à celui de ses habitants(40
000) ! 43 des 50 premières banques mondiales y ont des
établissements. Le système bancaire offshore des
îles Caïman fut l'un des premiers du genre, édifié
au milieu des années 1960 (plus exactement en 1966 et 1967)
avec aujourd'hui des sociétés offshore, des trusts
sur le modèle britannique (25 000 trusts) et 5 000 fonds
de placement.
Le régime fiscal des îles Caïman apparaît
comme l'un des plus favorables du monde. Il n'y existe aucun impôt
quel qu'il soit sur les revenus ou les profits, le capital ou
la fortune, les plus values, les propriétés, les
ventes ou les héritages.
Les îles Vierges britanniques
Encore une colonie de la Grande Bretagne
! Ici , les sociétés offshore s'appellent des IBC
(International Business Company), exonérées de toute
imposition de la part des îles Vierges. Le système
fut mis en place en 1984. Les îles Vierges abritent aujourd'hui
les deux tiers des IBC du monde (350 000) et les Bahamas sont
le second pays d'accueil des IBC.
Les Bermudes
C'est la plus ancienne des colonies
britanniques. Les Bermudes se sont spécialisées
dans les compagnies d'assurance. Plus de 1 500 y sont localisées.
Elles sont principalement actives dans le marché de la
réassurance et des assurances captives (compagnies détenues
par des sociétés qui ne couvrent que les risques
de leurs propriétaires). 50 milliards de dollars de primes
y sont gérés. Les trois quarts des grandes sociétés
multinationales (celles de Fortune 100) y ont des filiales. Pourquoi
? Parce qu'aux Bermudes, il n'y a pas d'imposition sur les revenus,
pas de législation sur les assurances et que les primes
encaissées par les compagnies d'assurance ne sont soumises
à aucun impôt.
Autres paradis fiscaux
Il existe d'autres paradis fiscaux
connus : les îles anglo-normandes (Jersey, Guernesey), l'île
de Man, Monaco, le Liechtenstein, Malte, Chypre, les Bahamas,
les Antilles néerlandaises, l'île franco-hollandaise
de Saint-Martin, etc. La liste est longue. On va s'arrêter
là.
III- GRIEFS CONTRE LES PARADIS FISCAUX
Il y a cinq principaux griefs contre
les paradis fiscaux :
1. Ils favorisent l'évasion
fiscale
L'évasion fiscale fut le premier
motif d'utilisation des paradis fiscaux. Comme l'a dit de façon
cynique la milliardaire new-yorkaise Leona Helmsey, condamnée
pour fraude fiscale en 1990: " Seules les petites gens paient
des impôts. "
La mentalité des fraudeurs du fisc est parfaitement résumée
dans ce jugement du juge britannique Learned Hand de la chambre
des Lords :
" Il n'y a rien de mal à arranger ses affaires de
manière à payer des impôts aussi peu élevés
que possible. Tout le monde le fait, riche ou pauvre, tout le
monde peut le faire. Personne n'a l'obligation de payer plus que
la loi réclame ; les impôts sont des exactions forcées,
pas des contributions volontaires. "
Cette évasion fiscale entraîne d'importantes pertes
de recettes publiques.
L'évasion fiscale en France est estimé à
50 milliards de dollars par an.
Le gouvernement américain reconnaît que ses pertes
en revenus fédéraux dus à l'évasion
fiscale s'élèveraient à 225 milliards de
dollars.
Les paradis fiscaux, selon une estimation conservatrice, ont contribué
à des pertes de recettes fiscales pour les pays en développement
à hauteur de 50 milliards de dollars par an. L'équivalent
en gros des flots d'aide annuellement versés à ces
pays.
La situation est d'autant plus choquante qu'elle profite surtout
aux contribuables les plus aisés et aux grandes entreprises.
2. Ils permettent le blanchiment
de l'argent sale
L'argent sale, c'est l'argent criminel,
l'argent provenant de la drogue, de la prostitution, de la fabrication
de fausse monnaie, de vols, de rackets, de trafics divers, de
l'immigration clandestine
. Cet argent illégalement
acquis, est réintroduit dans le circuit économique
normal par le biais de montages dans les paradis fiscaux : c'est
le blanchiment. Ici, l'économie criminelle côtoie
l'économie légale.
Le FMI estime que entre 600 milliards
et 1 500 milliards de dollars sont introduits dans le circuit
économique par le biais de l'argent sale.
Pino Arlacchi (spécialiste
italien des études de la Mafia) évalue, lui, à
1 milliard de dollars par jour ( soit 365 milliards par an) le
montant des profits du crime injectés dans les marchés
financiers du monde entier.
Le chiffre d'affaires global du marché
de la drogue dans le monde est estimé à 400 milliards
de dollars. Sur ces 400 milliards de dollars, 180 milliards sont
destinés à rémunérer globalement les
trafiquants et les professionnels de la société
légale qui collaborent avec les organisations criminelles
; 120 milliards reviennent directement aux organisations criminelles,
et sont d'être blanchis dans l'économie légale.
Il n'y a pas que l'argent des crimes.
Il y a aussi l'argent de la corruption !
Le montant total de la corruption ( total des pots de vins payés
sans compter les détournements de fonds), à la fois
dans les pays développés et les pays en voie de
développement, est estimé, par un Institut de la
Banque mondiale, à 1 000 milliards de dollars. Cet argent
trouve le chemin des paradis fiscaux comme l'a montré l'affaire
Elf.
3. Ils aident au financement du terrorisme
Depuis l'attentat du 11 septembre
2001 contre le World Trade Center, le gouvernement américain
et les gouvernements du G8 ont pris conscience du rôle des
paradis fiscaux dans le financement du terrorisme. Oussama Ben
Laden, formé par la CIA, pratiquait en maître les
paradis fiscaux. Il opérait via une cascade de sociétés
écrans installés au Pakistan, dans les Etats du
Golfe et dans des places " offshore ".
4. Ils constituent un obstacle majeur
à la coopération judiciaire internationale
Les paradis fiscaux rechignent à
coopérer en cas de poursuites judiciaires. Comme l'a écrit
le juge Renaud Van Ruymbeke dans le livre Un monde sans loi :
" En l'état actuel de la législation européenne
, les chances offertes à un magistrat de démanteler
un réseau criminel sont pratiquement nulles
Il faut
dix-huit mois pour obtenir les relevés bancaires d'un compte
panaméen ouvert en Suisse. Les délais sont interminables
au Liechtenstein. Comment atteindre un réseau qui, en l'espace
de quelques heures, grâce à l'informatique et avec
l'appui de quelques juristes et financiers habiles, a fait valser
l'argent criminel d'un paradis à l'autre, en multipliant
à dessein les écrans ?"
5. Ils fragilisent le système
financier international
La série de crises financières
et économiques (mexicaine, asiatique, russe) qui a secoué
les marchés à partir du milieu des années
1990 a montré que les flux à l'origine de l'instabilité
financière ont transité par les paradis fiscaux.
C'est par une simple cabane plantée sous le soleil de Nauru,
îlot du Pacifique situé à 20 000 kilomètres
de l'Europe, qu'ont transité en quelques jours de l'été
1998, 70 milliards de dollars aux origines troubles qui, fuyant
l'effondrement financier de la Russie, prirent le chemin de la
Bank of New York.
En Thaïlande, avant la crise
asiatique, les deux tiers des entrées de prêts à
court terme sont passées par des institutions " offshore
" filiales des grandes banques internationales.
L'extrême mobilité des
capitaux a un effet dévastateur accentué par les
phénomènes grégaires d'engouement et de retrait
frileux.
Les places offshore sont aujourd'hui les causes, les vecteurs
et les bénéficiaires des crises financières.
IV- QUELQUES CAS D'ECOLE
1. Le naufrage de L'Erika
Pour envoyer de France en Italie
une cargaison sans grande valeur au moindre coût, Total-France
met en branle toute la panoplie des paradis fiscaux. Elle active
Total-Bermudes qui, passe par Total-Londres pour trouver en Suisse
le bateau Erika.
En décembre 1999, lors de son naufrage, l'Erika battait
pavillon maltais, un pavillon de complaisance. Un pavillon de
complaisance constitue un système d'enregistrement opaque.
Des montages sophistiqués permettent de dissimuler l'identité
réelle du propriétaire du navire ou de l'armateur.
Tel est le cas de l'Erika. Au moment de l'accident, il est la
propriété d'une coquille vide (Tevere shipping)
enregistrée à Malte dissimulant deux armateurs napolitains
agissant à travers une société grecque. Il
est affrété par une société helvético-panaméenne
qui passe ses ordres depuis Lugano en Suisse et la marchandise
appartient à Total via sa filiale des Bermudes.
Voilà ce qui se passe tous les jours dans le monde de l'affrètement
et du transport maritime !
2. Les multinationales américaines
et les Foreign Sales Corporations (FSC)
En 1984, les Etats-Unis se sont dotés
du système des FSC, véritable système de
subventions déguisées.
Une FSC est une société écran domiciliée
dans une place offshore et autorisée par le gouvernement
américain qui lui accorde des exonérations. Le système
a été mis au point pour les multinationales. Celles
ci vendent à prix coûtant leurs produits à
une FSC (domiciliée dans une place offshore) qui à
son tour les exporte. Ces mouvements restent fictifs et ne donnent
lieu qu'à des écritures comptables. Jusqu'à
65 % des bénéfices de la FSC ne sont pas imposables
aux Etats-Unis mais seulement dans le territoire d'accueil, qui
est un paradis fiscal à faible taxation ayant signé
une convention d'échange fiscal avec les Etats-Unis.. Les
FSC sont implantées essentiellement aux îles Vierges
et à la Barbade.
De plus, les dividendes dus à la société-mère
par la FSC ne sont pas imposables.
Plus de 140 milliards de dollars échappent ainsi à
la taxation. Boeing a été la première à
bénéficier de ce dispositif, suivi par Kodak, Microsoft,
Union Carbide, Kellog, les céréaliers, les sociétés
pétrolières et les constructeurs d'automobiles.
L'Union Européenne a dû protester devant l'OMC pour
distorsion de concurrence.
3. L'empire médiatique de
Rupert Murdoch
En 1999, le journal The Economist
a publié une étude de l'empire médiatique
de Rupert Murdoch, News Corporation, une multinationale type,
éditrice entre autre des journaux The Times, Sunday Times
et The Sun en Grande Bretagne. Cette étude montrait que
sur les 800 entreprises du groupe, 60 parmi les plus rentables
étaient domiciliées dans des paradis fiscaux. Celle
qui dégageait le plus de profit dans les années
1990 était une société écran des Bermudes.
Ceci est une illustration des pratiques des sociétés
multinationales. Elles procèdent à la délocalisation
des bénéfices par la création de filiales
dans les places " offshore ", concentrant leurs principaux
bénéfices sur leurs filiales situées dans
les territoires à faible imposition. Ceci s'opère
par la facturation aux filiales génératrices de
bénéfices de dépenses diverses sans proportion
avec les prestations fournies (exploitation de brevets, frais
financiers, d'étude, de promotion etc.). Ces prestations
sont d'ailleurs parfois inexistantes et ne donnent lieu qu'à
des écritures comptables. La délocalisation des
bénéfices s'effectue aussi par manipulation du prix
des transactions.
Il n'y a pas que la délocalisation des bénéfices.
Il y a aussi la délocalisation des actifs financiers par
des montages financiers sophistiqués et la création
de trusts dans les " places offshore ".
4. Les scandales à répétition
Le juge italien Paolo Bernasconi
a dit ceci :
" Tout au long d'une carrière de magistrat et d'avocat,
longue de vingt-cinq ans, je n'ai connu aucun cas de criminalité
financière dans lequel les auteurs n'aient pas utilisé
une ou plusieurs sociétés commerciales ou financières
ayant leur siège dans un paradis fiscal "
Enron, Parmalat, Metaleurop : ce
sont les mêmes montages et les mêmes lieux qui assurent
détournements, paiements de dessous de table et dissimulation
de responsabilités.
L'affaire Enron. Il y eut recours
ici aux ressources offshore. L'entreprise avait créé
à des fins fiscales, mais aussi dans le but d'occulter
ses acrobaties et fraudes comptables, une nébuleuse de
filiales (une pour cinq employés) implantées dans
des paradis fiscaux : 693 dans les seules îles Caïman
et autant au Delaware. Ces montages ont permis à Enron
de ne pas payer d'impôts durant les cinq dernières
années de son existence (1995-1999). La faillite d'Enron
a laissé un trou de 40 milliards de dollars.
L'affaire Parmalat en Italie illustre
l'utilisation des places offshore et l'importance des fraudes
qu'elles permettent. Parmalat est une entreprise familiale de
Parme centrée sur la commercialisation du lait. A partir
de 1998, il y eut empilement de sociétés "
offshore " destiné à organiser un système
à grande opacité dissimulant les fragilités
financières croissantes du groupe et les abus de biens
sociaux des dirigeants : 137 filiales, une vingtaine de filiales
financières domiciliées aux îles Caïman
au Luxembourg, aux Antilles Néerlandaises, à l'île
de Man. Les défaillances et détournements sont de
l'ordre de 10 à 18 milliards de dollars.
Le dépôt de bilan de
Metaleurop et le licenciement expéditif de plus de 800
salariés en 2003 a montré l'usage des " places
offshore " pour organiser l'irresponsabilité juridique
et permettre d'échapper à des poursuites judiciaires.
Metaleurop était une filiale de Glencore, groupe opaque
enregistré à Zoug en Suisse et spécialisé
dans le courtage des métaux.
Le scandale de la BCCI ( Banque de
crédit et de commerce international) en 1991 a montré
la liaison pouvant exister entre le trafic de drogue et le terrorisme,
la haute finance, ainsi que les services spéciaux. La BCCI
recueillait pêle-mêle les comptes d'Abou Nidal, de
Saddam Hussein, du général Noriega, des services
de la CIA et des sociétés liées au trafic
international de la drogue. Les pratiques litigieuses de la BCCI
ont creusé un passif de 13 milliards de dollars.
Il s'agit là de scandales à milliards de dollars
où les sociétés écrans des paradis
fiscaux jouèrent un rôle crucial.
5. L'argent des dictateurs
Les dictateurs ont toujours trouvé
un accueil complaisant pour leurs fonds dans les paradis fiscaux.
D'après le FMI, en 1992, la
moitié des 300 milliards de dollars de la dette extérieure
des 15 pays les plus endettés du monde correspondait à
des fonds accaparés à titre privé et transférés
dans des paradis fiscaux.
La famille Marcos aux Philippines
dont la richesse était estimée à 10 milliards
de dollars à sa chute avait 800 millions de dollars de
dépôts en banque dans les paradis fiscaux.
Duvalier, en Haiti, a détourné
plus de 800 millions de dollars, placés dans les paradis
fiscaux.
De 1993 à 1998, le Nigeria
fut gouverné par un dictateur sinistre, le général
Sani Abacha. Son gouvernement a détourné 55 milliards
de dollars (d'après les dires du gouvernement qui a succédé)
dissimulés par le biais de mécanismes " offshore
". Plus de 500 sociétés écrans ont été
constitués dans plusieurs paradis fiscaux pour abriter
les fonds venus du Nigeria. Ces fonds ont été déposés
à Londres, Jersey, en Suisse et au Luxembourg. Sani Abacha
aurait détourné lui-même 4 milliards de dollars,
placés dans dix-neuf banques suisses et des banques londoniennes.
De ces 4 milliards de dollars, seuls 900 millions ont été
retrouvés et bloqués en Suisse, et 200 millions
restitués aux autorités du Nigeria. On parle ces
derniers jours d'une restitution supplémentaire de 458
millions de dollars par la Suisse, mais rien n'est en vue en provenance
de Londres. Non seulement les paradis fiscaux accueillent les
fonds de la corruption et des détournements, mais ils se
sucrent quand les fonds sont réclamés.
V- QUE FAIRE CONTRE LES PARADIS FISCAUX
?
Que font les Etats ?
Peu, pour l'instant.
Voici quelques unes de leurs actions.
En juillet 1989, au sommet de l'Arche à Paris, le G7 a
pris conscience du rôle négatif joué par les
paradis fiscaux dans le blanchiment de l'argent sale et créé
le GAFI (le Groupe d'action financière sur le blanchiment
des capitaux) qu'il a installé dans les locaux de l'OCDE.
Le GAFI, a édicté une liste de 40 recommandations
qui permettraient une lutte efficace contre le blanchiment et
publié une liste de pays non coopératifs mais comme
il n'a pas de pouvoir exécutif, il en est resté
au niveau de la menace sans pouvoir passer à l'acte.
Pour ne pas figurer sur la liste des pays non coopératifs
du GAFI, quelques paradis fiscaux ont modifié leur législation
dans le sens d'une plus grande coopération judiciaire.
Mais il ne s'agit là pour le moment que d'une modification
de façade, la réalité de la non coopération
n'ayant pas encore vraiment changé.
Si le GAFI a travaillé sur le blanchiment des capitaux,
l'OCDE, elle, fut chargée de travailler sur l'évasion
fiscale. Elle a publié en avril 1998 un rapport intitulé:
Concurrence fiscale dommageable : un problème mondial,
puis s'est engagée dans des discussions sur l'harmonisation
fiscale. Mais avec l'arrivée au pouvoir de l'administration
Bush en 2001, un coup d'arrêt fut donné à
son travail.
Sept magistrats européens ont lancé le 1er octobre
1996 l'appel de Genève pour un véritable espace
judiciaire européen. Cet espace judiciaire européen
n'a toujours pas vu le jour.
Et les paradis fiscaux sont toujours aussi actifs.
Que pouvons nous faire ?
Beaucoup, si nous nous y mettons.
D'abord et avant tout : dénoncer les paradis fiscaux, faire
connaître leurs méfaits.
Faire pression sur les gouvernements occidentaux pour qu'ils durcissent
leurs actions contre les paradis fiscaux.
Militer dans les associations qui cherchent à créer
un mouvement d'opinion publique contre les paradis fiscaux et
de pression sur les gouvernements. On connaît les actions
anticorruption et anti-paradis fiscaux de Transparency International
et de Global Witness, les revendications d'ATTAC en matière
de régulation financière mondiale et de lutte contre
les paradis fiscaux. Agir Ici mène campagne régulière.
L'association Survie dont je suis membre organise en ce moment
même une campagne contre les paradis fiscaux.
Il faut sans cesse interpeller les
gouvernements, qui font preuve de laxisme et de laisser aller.
Des amnisties fiscales ont même été proposées
en Allemagne et en Italie pour permettre le rapatriement des capitaux
évadés. Elles ont eu un faible succès, moins
de 16 % des capitaux escomptés sont revenus au bercail
en Italie, encore moins en Allemagne (3,5 milliards d'euros sur
les 100 à 500 milliards d'euros cachés à
l'étranger) !
C'est la prise de conscience grandissante par les citoyens des
méfaits des paradis fiscaux qui mettra la pression nécessaire
sur les gouvernements pour qu'ils prennent des mesures contre
les paradis fiscaux. S'il y avait une volonté de la communauté
internationale, ces paradis fiscaux disparaîtraient.
Et puis on ne peut tolérer que l'argent sale mène
le monde. La présence de cet argent sale est moralement
intolérable et politiquement déstabilisatrice pour
les institutions.
Il faut savoir que dans la lutte contre les paradis fiscaux, les
peuples des pays développés et des pays en développement
ont des intérêts communs. Si les paradis fiscaux
continuent à se développer et que les entreprises
et les citoyens riches parviennent à se soustraire entièrement
au paiement des impôts c'est la voie de la dégradation
des services publics et des services de l'Etat qui sera suivie
à coup sûr.
Empêchons cela.
Jacques DALODE
BIBLIOGRAPHIE
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française, 1990.