Elf, la pompe Afrique : les coulisses de la 5ème République
sur le devant de la scène
(source afrik.com
publié le vendredi 28 janvier 2005)
- De mars à juin 2003, 37 membres
de la compagnie pétrolière français Elf comparaissaient
devant la Justice française, officiellement pour abus de biens
sociaux dépassant les 170 millions deuros. Plongée
au cur de la Françafrique, la pièce théâtre
de Nicolas Lambert, Elf, la Pompe Afrique, reprend, jusquau
18 février [2005] à Paris, les passages forts du procès
scandale de la 5ème République. Interview.
Propos recueillis par Valentine Lescot
Laffaire Elf adaptée au
théâtre. Adepte dun théâtre militant,
le comédien français Nicolas Lambert, qui a suivi au
Palais de Justice à Paris les quatre mois du procès
Elf (mars à juin 2003), ne voulait pas que ce dossier
reste dans un coin ». Pour lui : « Il fallait que les
gens sachent ». Il écrit et met alors en scène
Elf : la pompe Afrique, la 5ème pièce de sa carrière.
Il y joue à la fois les prévenus, les juges et les avocats.
Un véritable acte citoyen. On rit de lénormité
des combines et des sommes déjouées, tout en ayant conscience
de leur gravité. Car avec ça, la République
aurait pu sauter 20 fois . en 2003, Loïc Le Floch-Prigent,
président dElf de 1989 à 1993, Alfred Sirven,
ancien directeur des affaires générales du groupe et
André Tarallo, le Monsieur Afrique de la compagnie,
comparaissaient à la barre. Leurs témoignages vont en
fait mettre à jour un système de relations cyniques
entre lEtat français et lAfrique francophone.
Elf a été créé pour maintenir lAlgérie
et les rois nègres dans lorbite française par
le biais du pétrole. Avec les Algériens, ça a
capoté. Avec les rois nègres ça se poursuit ,
explique lex-président dElf au tribunal. Quatre
mois daudience, 37 prévenus mais aucun homme politique.
Afrik.com : Avant dassister
au procès, saviez-vous quil existait un système
françafricain [*] mis en place par de Gaulle,
orchestré par son homme de lombre Jacques Foccart et
dont le but était que la France garde la main mise sur ses
anciennes colonies et continue à exploiter leurs richesses
?
Nicolas Lambert : Non, je ne savais pas. Par exemple, je ne comprenais
pas ce que faisait notre armée au Tchad ou en Côte divoire.
Le type de liens quentretient la France avec ses anciennes colonies
me paraissait complètement mystérieux. Ce nest
quaprès avoir assisté au procès que jai
pu comprendre beaucoup de choses sur le fonctionnement de notre 5ème
République. Bien que je craigne que ce ne soit quun bout
de liceberg...
Afrik.com : Quelles conclusions avez-vous
tirées à la fin du procès ? Quels ont été
vos sentiments ?
Nicolas Lambert : De la colère de voir que tout un système
(la françafrique, ndlr) était expliqué dans une
cour de tribunal, à Paris, sur lIle de la cité.
Et tout le monde sen fichait. Là seule conclusion quon
en a tiré cest : ils sen sont mis plein
les poches .
Afrik.com : Alors que cette affaire
touche directement le Président de la Réplique actuel
et ses prédécesseurs ?
Nicolas Lambert : Oui, même si cela na pas été
dit clairement pendant le procès. Mais dans son livre (Affaire
dElf : affaire dEtat, ndlr), Loïc Le Floch-Prigent
explique quil a dû refuser de voir la juge Eva Joly sur
la demande du Président de la République. Dans le livre
qua écrit Eva Joly, jai été effrayé
de voir comment les services secrets français ont cherché
en permanence à saboter son travail.
Afrik.com : Vous dites au début
de la pièce que les bancs réservés aux journalistes
dans la salle daudience étaient quasiment vides. Pensez-vous
que la presse française na pas suffisamment couvert le
procès ?
Nicolas Lambert : Cest le moins quon puisse dire. Pour
comprendre une affaire pareille et la faire partager au public, au
lecteur, aux téléspectateurs ou aux auditeurs, il faut
assister aux audiences et se plonger dans le dossier. Il y avait environ
une douzaine de journalistes qui ont suivi les 4 mois du procès.
Certains médias ont fait un boulot admirable comme Le Monde,
Libération, RFI, Le Parisien et Le Figaro. Mais il y avait
peu de journalistes de télévision. Parce que ces grands
médias appartiennent aux grands groupes industriels, comme
Dassault, Lagardère, et nont pas forcément envie
que des affaires, telles que celle dElf, soient dévoilées.
Enfin, il faut se demander quelle place on veut donner à des
informations remettant en cause un système politique et financier
en France. Aux Etats-Unis, laffaire du Water Gate (scandale
des écoutes du pentagone aux Etats-Unis qui a obligé
le Président Richard Nixon à démissionner en
1974, ndlr) était retransmise 7h par jour en direct sur toutes
les chaînes de télévision. Autre exemple, lopération
mani pulite a fait imploser lensemble des partis politiques
italien. Pourtant, les sommes en jeu étaient bien inférieures
à celles du scandale Elf.
Afrik.com : Votre spectacle nest
pas subventionné. Est-ce à cause du sujet que vous traitez
?
Nicolas Lambert : Non. Cest un problème de système
de financement du théâtre en France, qui est peu favorable
aux pièces traitant de lactualité un peu lointaine
(le procès sest terminé lété
2003, ndlr). Par ailleurs ce qui séduit les gens et les financiers
de la scène française cest avant tout un théâtre
très joli, formel, poétique. Le théâtre
citoyen est peu représenté en France, alors quil
existe en Belgique où sest joué Rwanda 94, une
pièce sur la responsabilité de la Belgique et de la
France dans le génocide. En Angleterre un metteur en scène
a monté une pièce sur la relation Bush-Blair. Il est
étonnant de voir que je nai reçu que des journalistes
politiques, et pas un seul journaliste culturel. Alors que le théâtre
citoyen reste de la culture.
Afrik.com : Quel type de public draine
votre pièce ?
Nicolas Lambert : Jai un public très large socialement
et culturellement. Ce qui ma beaucoup touché. Au début,
il était plutôt militant. Les spectateurs africains sont,
pour leur part, très touchés de voir que ces problèmes
français soient évoqués par un Français.
Afrik.com : Sur quels thèmes
allez-vous travailler par la suite ?
Nicolas Lambert : En ce moment ce sont les problèmes liés
à la décolonisation qui me préoccupent. Je ne
mexplique pas pourquoi on dit immigrés
quand on parle des Maghrébins. Quand on parle des Chinois ont
dit les Chinois. Quand il y a des problèmes dans les banlieues,
cest toujours le fait de jeunes immigrés .
Donc pourquoi fait-on une différence entre les personnes venant
de nos anciennes colonies et ceux qui viennent dailleurs ? Je
pense quil y a des choses qui ne sont pas digérées
parce quelles nont pas été dites et racontées.
Je voudrais aussi me pencher sur le fonctionnement des marchés
publics en France ou labsence dactes politiques courageux
de la part de nos politiciens.
Afrik.com : Vous pensez vraiment,
comme vous le concluez dans la pièce, que la 5ème République
est malade ?
Nicolas Lambert : Oui. Linformation est malade, le pays a voté
à moins de 40 % lors du premier tour de lélection
présidentielle, et seulement 22 % pour le Président
daujourdhui. Je pense que nous ne sommes pas dans un pays
qui va bien.
- Elf, la pompe Afrique ,
A Nancy le 8 février - voir
page agenda.
Pour plus dinformations : http://www.unpasdecote.org.